Il existe un moment très précis qui explique tout ce qui a rapport aux supporters parisiens. Comprendre cet instant de grâce, c'est appréhender d'un coup ce qui nous rassemble au Parc des Princes. Cette seconde motive même certains fans des Rouge et Bleu de manière totalement inconsciente. C'est un instant de communion. Ce moment à part, c'est LA clameur du Parc.
Bien des supporters trouvent leur motivation dans la victoire. Sans elle, point de salut, et pas de plaisir. Ceux-là se réjouiront d'un bon petit match remporté un à zéro, but de raccroc. Trois points acquis dans la douleur à la suite d'un contre son camp adverse leur apportent plus de plaisir qu'un nul sur le score de trois partout. D'autres parisiens, au contraire, recherchent le beau jeu, le frisson du passement de jambe ou de l'ouverture millimétrée. Pour ces observateurs attentifs, gagner n'est pas suffisant : il faut y mettre la manière... Et voir le PSG perdre ne leur gâchera pas forcément la soirée, pourvu que la partie ait été joliment disputée. Les motivations de ces différents types d'aficionados sont donc opposées. Mais une fois au Parc, quelle que soit leur approche de la rencontre, il y a pourtant un moment qui les rassemble tous, qui les voit tous agir de la même manière : la clameur !
Enfin, parler de LA clameur est un peu réducteur, il faut expliquer ce dont on parle, préciser sa position puisqu'il en existe plusieurs sortes. La première, c'est celle de l'entrée des joueurs. Classique. La seconde s'identifie au but parisien. Toujours plaisante. La dernière apparaît lors du coup de sifflet final, quand la victoire est sans appel. Un peu triste. Mais la plus belle de toutes, celle qui nous intéresse ici, peut apparaître à tout instant. Elle ne suit pas de règle stricte. Cette rareté, voilà LA clameur.
L'entrée des joueurs
Elle surclasse celle de l'entrée des joueurs justement à cause de son côté imprévisible : juste avant le début du match, toutes les tribunes sont déjà tendues, préparées à accueillir les deux équipes. On sait ce qui va se produire. Les latérales attendent la musique annonçant la sortie des vestiaires, le Virage et le kop sont prêts à dégainer leurs tifos... Et tout le Parc se met à hurler.
Alors évidemment, c'est un moment très fort, mais il ne recèle que peu de surprises. Ce passage obligé n'est finalement rien d'autre qu'un affrontement convenu, une espèce de parade animale visant à impressionner l'adversaire. 40 000 Parisiens hurlent ensemble, histoire de bien faire comprendre aux visiteurs sur quel territoire on se trouve, qui sont les patrons du stade. Effet garanti auprès des visiteurs ayant commis l'imprudence de venir en tribunes parisiennes... Alors certes cette clameur est importante, elle rassure les joueurs du Paris SG, intimide l'équipe d'en face, elle lance vraiment les chants des virages. Mais ça n'est pas le must. Tout y est trop organisé, trop rituel.
Lorsque le Paris SG marque
La clameur après un but n'est pas davantage le top, d'ailleurs. Oui, chaque but donne lieu à de véritables chaos. Tout le monde est debout, les écharpes s'agitent, certains sautent de siège en siège, se jettent dans les bras d'un gars qui était trois rangs plus bas un instant plus tôt, le tout dans un concert de cris de joie assez indescriptible... Mais alors pourquoi cette période de folie, cette clameur qui suit les buts n'est-elle pas le meilleur moment d'un match au Parc ? Parce que ces hurlements célèbrent un évènement qui appartient déjà au passé. Une fois que le but est inscrit, le paroxysme est déjà dernière nous. C'est une joie post-coïtale. Voilà, l'attaquant du Paris Saint-Germain a déchargé le ballon, qui a jailli et pénétré dans les filets... Intense plaisir. Puis, après ce moment de jouissance, le cuir est retombé mollement à terre, les filets sont de nouveau flasques et c'est les jambes tremblantes et le souffle court que le gardien, possédé, se relève pour aller le ramasser. Certains diront que le buteur parisien l'a bien baisé. Ce qui est toujours agréable, et satisfaisant après coup, bien sur, mais bon... Une fois que c'est fini, une fois que le sommet est passé, il faudrait recommencer pour retrouver le plaisir. La clameur d'après but ne vit pas dans l'instant. Elle se place dans l'après. Et les cris baissent déjà alors que le jeu reprend. Cette période ne peut durer, puisqu'elle s'appuie sur un évènement déjà révolu. Déjà mort.
Après une victoire
Un peu comme les manifestations de joie qui marquent la fin de la rencontre : cette clameur non plus ne participe pas au match. Elle n'influe pas sur lui puisqu'il est déjà fini. Après une victoire parisienne, le public se lève et acclame ses joueurs. Il y a un échange, plus ou moins long, suivant que les Rouge et Bleu viennent saluer les tribunes ou rentrent directement au vestiaire. Les supporters clament leur joie, leur fierté, les joueurs vont les remercier de leurs chants... Ce sont des moments privilégiés, durant lesquels on a conscience de se battre pour les mêmes couleurs. Mais quoi qu'il arrive, certains fans sont pressés de rentrer. Ils quittent le Parc et rejoignent leurs domiciles, un par un. Cette clameur est aussi un au-revoir, forcément un peu triste, et elle meurt lentement dans un Parc qui se vide de son sang. La fête se finit, là, sous nos yeux. Ce mélange de joie et d'abandon ne peut représenter la panacée.
LA clameur
Non, le top, c'est LA clameur. Cet instant particulier ne brille que par intermittence. Il est rare mais provoque invariablement le frisson le plus vif. Là, le plaisir peut se prolonger et monter jusqu'à l'extase, et la clameur participera à ce crescendo. Elle se nourrira d'elle-même jusqu'à atteindre le paroxysme, parfois. Et là, tout le monde s'y laisse prendre. La clameur intervient lorsque tout le Parc se lève, sans même y réfléchir. Cet évènement se produit sur une action bien précise. Il faut que l'adversaire perde le ballon dans notre camp, alors que son bloc défensif s'est trop avancé. Là, le milieu Rouge et Bleu récupère la balle, sur le côté, et un frisson parcourt les travées. Il a un boulevard devant lui. Personne ne peut l'empêcher de filer vers le but. Tout est là. L'instant précis où, balle au pied, il lève la tête et voit comme tout le reste du Parc les 50 mètres libres qui lui font face provoque une sorte de transe. Les deux équipes se ruent, les attaquants du Paris SG multiplient les feintes, appels, contre-appels. La défense adverse, affolée, tente de colmater les brèches, trop tard. Et le gardien lui ne sait s'il doit s'avancer pour tenter le face-à-face ou rester sur sa ligne. Pendant ce temps, le Parc est debout. Les cris de rage jaillissent des poitrines. Personne qui ne soit en train de hurler, poing dressé, ou d'indiquer le but adverse, l'index tendu. Le milieu parisien pousse sa balle, le long de la ligne de touche, il ouvre son pied, et l'action se poursuit. La clameur monte, elle enfle. Plus on gueule et plus la balle se rapproche des buts. Plus l'action devient dangereuse et plus on gueule. Les poings se serrent, les poumons se vident, tendus, tendus, les tribunes elle-mêmes paraissent se contracter, tout va vers les cages... On est dedans, dans le match, dans l'action, on y va tous, à fond !
Là...
Il est là l'instant qui explique Paris. La magie qui nous rassemble. Malgré les défaites, les doutes, les déceptions et les heurts entre les tribunes. Cet instant-là on le vit tous ensemble, on y participe tous ensemble. Spectateurs, supporters, Ultras', Casual, Indèps, simples fans, ou fous enragés, pendant LA clameur, on est tous pareils.
Et on supporte Paris.