Je sais que je donne l'image de quelqu'un d'arrogant. D'aussi loin que remonte ma « carrière », je me traîne cette réputation.... Sans doute d'ailleurs parce qu'en fait je le suis, ou l'ai été. Faut être lucide : on ne récupère pas ce genre de karma par hasard. Mais cette arrogance, c'est peut-être aussi ce qui a fait mon (relatif) succès : un mélange de fierté mal placée, d'esprit de provocation. Et puis, pourquoi le nier, une pointe de volonté d'apparaître en première ligne... On ne peut pas réussir mon type de parcours sans une petite dose d'exhibitionnisme.
Quand par le passé on est venu me chercher, venu me demander de me mettre en avant, je l'ai fait. Et avec le plein d'autosatisfaction en plus ! Des camarades, que je connaissais alors parfois à peine, se sont tournés vers moi. Pour défendre une cause, pour les représenter... J'étais plus jeune qu'eux, ils étaient sans doute mieux placés que moi pour exposer leurs propres idées, mais ils m'ont demandé de représenter notre cause, et sans me poser de questions j'ai acquiescé. Jeune et con. Ca a un côté reposant : on agit sans y réfléchir. J'aimerais bien pouvoir de nouveau en faire autant aujourd'hui...
Du coup, oui, arrogant, fier et poseur. Vaniteux, aussi, sans doute... Beau tableau que le mien. Les mauvais côtés de traits de caractères qui m'ont d'autre part sorti d'affaire plus d'une fois. Parce que lorsque l'on exerce une occupation publique, il faut s'attendre à être jugé en retour. C'est la règle du jeu. Alors semaine après semaine, je produis mon travail, je vous le livre et vous me renvoyez vos avis. Je m'expose, dans tous les sens du terme. Et si j'ai été mauvais, si mon ouvrage ne vous a pas plu, ou simplement si mon personnage ne vous revient pas, la sanction tombe. Parfois, elle a de quoi remuer. Là ça fait mal.
Une insulte, on passe outre. Mais deux, dix, par mails, sur des forums, dans la rue ou au stade, quand vous êtes reconnu (c'est le pire ça, au stade, parce qu'on aimerait s'y lâcher sans arrière-pensée) à terme, ça plombe.
Au fond, rien ne me force à faire ce que je fais. Je sais bien que je suis privilégié, que je ne travaille pas n'importe où, que d'autres apprécieraient d'être à ma place, et prendraient mon job gratuitement... Je sais que personne ne m'a forcé. Et puis, même si certaines dents grinceront je l'avoue : après tout, je pourrais partir dès demain. Je l'ai déjà fait.
Tout ce qui me retient, c'est la fierté, justement. L'envie de rester sur une bonne note, de laisser une dernière bonne impression derrière soi. Sinon, je me serais cassé il y a longtemps. Trop d'emmerdes, trop de critiques, parfois injustes, ou contradictoires avec celle de la semaine précédente... Même si une part de moi demande cela, pour progresser, pour rester les pieds sur terre (parce qu'après tout j'ai fait quoi, moi ?), toutes ces remarques finissent par s'accumuler. Et on craque.
Là, pouvoir se blinder, être fort dans la tête, c'est obligé. J'y laisserais trop de plumes sans ça. Alors le côté hautain, le fait de ne pas se remettre en cause et de foncer, encore, sans jamais douter, ou en tout cas sans le montrer, là c'est une question de survie. Ca m'a sauvé par le passé. Comme après la panenka.
Cette panenka ratée en finale de la coupe de la ligue, elle illustre les deux revers de la médaille. La vanité qui te perd, et qui nous a couté un titre à tous, les Nantais, et la force de caractère qui te sauve, après.
Parce que pour parler crument, j'en ai pris plein la gueule derrière ma panenka des tirs au but contre Sochaux. Tous ceux qui ont crié au génie sur le geste de Zidane en finale de coupe du monde étaient beaucoup moins conciliants en ce qui m'a concerné... Mais bon, l'histoire appartient aux vainqueurs, lui elle est rentrée. Moi non. Je l'ai payée le prix fort, et je savais qu'à la moindre erreur elle ressortirait cette panenka. La preuve, aujourd'hui, elle est réapparue sur Internet. Comme si la situation actuelle avait quoi que ce soit à voir avec ce vieux péché d'orgueil...
Aujourd'hui je ne dors plus. Il y a quatre ans, je suis rentré chez moi en me disant « tous des cons », pas de remise en cause, et putain, j'avais bien dormi. J'aime autant vous dire que ça me laisse rêveur désormais, et c'est le cas de dire !
...
Ah, la vache, « ça me laisse rêveur », je me mets à faire des jeux de mots d'insomniaque maintenant. C'est juste que là, j'en peux plus. Le film me repasse dans le crâne sans que je parvienne à le dépasser. Comme si cette morgue, ce petit truc même qui me rendait désagréable et que je voulais gommer était justement ce qui me sauvait... Me préservait des questions...
Du doute.
Je ne comprends pas pourquoi je doute. J'ai toujours été fort, j'ai toujours été sur. Peut-être pas le meilleur physiquement, ni le plus technique ou le plus doué, mais en bossant, en m'entraînant je savais que j'y arriverais. C'était ça mon atout : j'étais persuadé que j'y arriverais toujours, et c'était ce qui se passait. Le bon temps !
Maintenant, me voilà à écrire plutôt que de dormir. Tout ça parce que je ne comprends pas où ma bonne fée m'a abandonné. Ni pourquoi. Je repense à Auxerre. J'étais bien contre Auxerre. Mais vraiment bien ! Dès le début de l'entraînement, supers sensations. Dans ma tête, prêt. Comme dans ces rêves où tout va au ralenti, où on se sent invincible, capable d'arrêter des balles de revolver. J'étais à bloc pendant le match. Envie de leur dire « venez-y, qu'on rigole ! ». Un tir, une sortie, juste une occasion de faire une belle horizontale, j'attendais que ça. En plus on menait 2-0, les gars jouaient bien, pas de pression, c'était plié. Mais pas une balle. Rien ! Tir cadré, centres à intercepter, j'étais ultra vigilant, et RIEN !
Jusqu'à cette espèce de balle molle de merde, là. Et dès qu'elle est partie, j'avais compris. Comme pour le tir de Piquionne. Le tir ras de terre, qui flotte et manque rebondir juste devant toi, avec personne qui suit dans la défense, le pur cauchemar. Soit tu te fais une arconada, soit tu repousses en priant que ça aille pas sur un adversaire... sauf que évidemment ça lui fonce pile sur le bon pied. Le truc pas impressionnant, la daube que seuls les gardiens savent hyper difficile à stopper...
Alors cette feuille morte, je la vois s'élever, et voilà... tous les acquis, toutes les heures d'entraînement, les réflexes construits en vingt ans de formation, tout s'évanouit. Plus rien que cette pensée : te loupe pas ! Je recule en la regardant, te loupe pas, je vois mes coéquipiers, oh la vache, te loupe pas, je saute, mais les jambes ne veulent plus, non, non, te loupe pas, pas là !, et le gant la touche, je sens que je la touche, je la dévie !...
...
Et quoi ? Evidemment que t'as envie de mourir. De te cacher. Alors les copains viennent te voir, Sylvain, Mario, depuis le temps, ils savent que celle-là je l'arrête comme je veux !, ils me parlent, ils me disent... Je sais même pas ce qu'ils me disent. Ils sont là et merci à eux, mais moi j'ai envie de revenir en arrière. J'ai envie de la refaire, parce que si on me la redonne cent fois je la dévie, je la bloque, je la claque cent fois. Mais elle est rentrée quand même. Et tous ceux qui sont venus me taper sur l'épaule, j'ai même pas réussi à leur dire merci. La boule dans la gorge.
Toute cette période, c'est un cauchemar. Ca va s'arranger, il faut juste que je me retrouve ! Que je me le dise : je suis fort ! Je suis arrogant ! Détestez-moi pour ça, tant pis... mais enlevez-moi ce doute. Les insultes, redonnez-moi les insultes... mais pas ça. Pas de mon propre public ! Non, je me bats pour eux, je porte leur maillot et eux ils me sifflent, et je le comprends, je les comprends parce que j'échoue, je me vois encaisser ces buts et j'aimerais me siffler moi aussi.
C'est ça le pire. La banderole, Landreau, casse-toi, tendue dans mon dos, les sifflets, venus de mes propres supporters. C'est ça le plus dur. Être insulté par des adversaires ça me rend plus fort. Sale Parisien, con de Français, je les entends toutes et elles me motivent. Celles du Parc, celle-là elles me tuent. Ca vient de ceux pour qui je me bats. Ceux que je veux rendre heureux. Je veux qu'ils apprécient ce que je fais, ce que je leur donne. Ces insultes-là, elles me font trop mal.
Je sais que je suis bien payé. Je sais que j'ai un boulot de rêve et une bagnole de malade. Bien sur. N'empêche que je suis Parisien, et que lorsque je rentre au Parc, avec ce maillot sur le dos, c'est pas en pensant à mon salaire. C'est pour le frisson, c'est pour sentir le public, lire la chance d'avoir un bon gardien dans les yeux de mes supporters.
Prenez-le comme vous le voulez, mais j'ai envie de plaire. D'être aimé. Par vous.
Les autres ça me fait marrer qu'ils m'injurient.
Et là je suis sifflé.
Par vous.
J'ai quitté Nantes. Quand je suis parti, j'ai un peu laissé ma famille en fait. C'est normal d'être aimé par sa famille, un peu « obligé ». J'ai débarqué au Parc. L'an passé, j'ai aidé à sauver le PSG. J'ai aidé à sauver ce club par mes arrêts. J'ai tout réussi, j'ai gagné des matches, et même si ça fait arrogant d'avouer ça je m'en fous, parce que c'est vrai. J'ai tout donné pour Paris, j'ai même contribué à faire descendre le FCNA. J'ai tué le père pour vous, pour ce club. Alors j'ai mérité de me sentir Parisien, et je me sens Parisien. J'ai mérité d'être apprécié pour tout ça.
Là, enfin ça compterait vraiment. Pas comme à Nantes.
Mais non. Je me rate, et tout est remis à moins que zéro. Alors ça fait encore plus mal. La presse, je la lis pas. On m'en parle, tout le monde m'en parle, mais je sais ce qu'il faut en garder. Ca glisse. L'Euro, c'est trop loin. J'y serai ou pas, on verra bien, j'ai le temps. Non, tout ce qui compte, c'est le Parc. Les Parisiens. Mon challenge il est ici, à Paris.
Mon envie de bien faire, cette envie qui me bloque, me pèse et me fait souffrir, elle est ici, à Paris. Pour ne plus entendre ces sifflets, pour ne plus lire que ceux-là même pour qui je donne tout ont envie que je me barre.
Et je ne dors toujours pas.
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Je voudrais remercier Satanas qui (en plus d'une bière) m'a offert l'idée de cette chronique. Un peu involontairement, il est vrai...
Parce qu'au fond, nous sommes tous des Mickaël Landreau.