"Le 1er juillet 2003, Roman Abramovitch, deuxième homme le plus riche de Russie derrière Mikhaïl Khodorkovski, avec une fortune estimé à 5,7 milliards de dollars, prend le contrôle du club londonien. Son premier objectif ? Signer Ronaldinho, alors au PSG.
Début de l'été 2003. Coup de fil matinal au siège du PSG, au Parc des Princes. A l'autre bout de la ligne, un interlocuteur surprenant : German Tkatchenko, membre du Parlement russe et président du Krylia Sovetov, le club de la ville de Samara, souhaite joindre Francis Graille, président du PSG, pour lui proposer un rendez-vous vraiment inattendu. La secrétaire de Graille décroche : "J'appelle de la part de Roman Abramovitch, lance Tkatchenko. Nous sommes à Paris, c'est au sujet de Ronaldinho. Pouvez-vous passer nous voir à l'hôtel George-V ?"
Surprise mêlée d'interrogation au siège du club. Depuis plusieurs semaines, le PSG est en négociation avec Manchester United au sujet du prodige brésilien, dont le départ est inéluctable après deux saisons passées à Paris. "Ronnie" veut aller à Manchester. Peter Kenyon, directeur général du club, mène les discussions avec Paris. Sir Alex Ferguson, le manager général, s'est déjà déplacé deux fois pour discuter avec Graille. Mais le prix proposé par MU - 23 millions d'euros – est trop faible et la "radinerie" mancunienne agace le président parisien.
Dans le même temps, des liaison, ont été établies avec Barcelone, favorisées par un contact de Graille, proche du président catalan, Joan Laporta. Et voilà que débarque le Chelsea d'Abramovitch. Ronnie, c'est sa première cible, son premier gros dossier. Alors il compte faire vite et selon ses conditions. "A l'époque, on commençait à peine à parler de lui, se souvient Graille. Il venait de débarquer dans le milieu. Tout le monde se demandait d'où arrivait son argent..." Graille refuse la rencontre à l'extérieur, au George-V. "Quand on débute une négociation, il est préférable de s'établir sur son terrain plutôt que sur celui de l'autre", note-t-il. "Je ne voulais pas faire ça à la sauvette."
Il convie alors les deux hommes au siège du club, dans l'après-midi. Et en profite, entre-temps, pour prévenir l'actionnaire, Bertrand Méheut, le président du groupe Canal +, qui lui répond d'agir à sa guise. Quelques heures plus tard, Abramovitch et Tkatchenko sortent d'une grosse berline, devant l'entrée principale du Parc des Princes, accompagnés des membres du service des voyages officiels. Logique, en fait, pour ces deux personnalités politiques, l'une membre du Conseil de la Fédération de Russie, l'autre gouverneur de Tchoukotka. Dans le bureau les attendent Francis Graille et Pierre Frelot, alors directeur financier du club, devenu agent de joueurs. Un témoin de la scène raconte : "En fait, Abramovitch ressemblait à un étudiant russe en vadrouille à Paris ; il portait un jean usé, un t-shirt, une veste également en jean, une barbe de trois jours..." Graille est tout aussi surpris : "C'était surréaliste...", se rappelle-t-il.
Les deux Russes entrent dans son bureau, s'assoient et la discussion s'engage sans fioritures. Tkatchenko traduit du russe à l'anglais et inversement.
"Ronaldinho a déjà signé à Manchester ?"
- Non, il vous intéresse ?
- Oui, on a déjà vu son frère (l'ancien professionnel Roberto Assis, son agent) mais on veut connaître le prix."
Graille réfléchit, vite. Il sait qu'il engagerait Canal + dans une opération forcément polémique. Il imagine déjà le ton des articles quand l'affaire s'ébruitera : les pétroroubles d'Abramovitch , personnage louche, accompagné du cortège de soupçons sur l'origine des fonds...
"J'ai eu un temps de recul, explique-t-il. Vous ne pouvez pas dire au type en face de vous que vous n'avez pas envie de vendre parce que sa tête ne vous revient pas. La seule issue, c'était de taper haut."
"C'est 40 millions d'euros à payer cash."
Abramovitch hoche la tête. Il ne semble pas perturbé par ce prix hors marché. Il s'étonne pourtant de l'importance de la somme, vu ce qu'a proposé Manchester. Graille lui réplique que si le PSG était d'accord avec ce qu'offre Kenyon, il serait déjà chez les Red Devils. Un peu étourdi par cette situation incongrue, il se pose, amusé, une question à lui-même : "Merde, tu ne vois pas qu'il accepte ?"
"Un truc me perturbait, poursuit Graille. J'écoutais les questions de son collègue et, quand je répondais, je le faisais en me tournant vers Abramovitch. Je n'arrivais pas à capter son regard. Impossible de se parler les yeux dans les yeux. La dialogue a été difficile à engager. Pour tout dire, il a eu l'air un peu agacé. En fait, ça devait l'ennuyer d'avoir du se déplacer. Il n'était pas vraiment enclin à la communication."
Effectivement. Pour sa découverte des négociations de transferts, le patron des Blues n'aura pas passé plus d'un quart d'heure dans le bureau de Graille. A la suite de cette entrevue, Roberto de Assis prendra le relais pour tenter de négocier un salaire exceptionnel - autour de 800 000 euros par mois - avec la nouvelle direction de Chelsea. Mais, à l'époque, Ronnie ne voulait pas aller à Londres, même à ces conditions salariales. Une semaine après, Abramovitch fait rappeler le PSG pour dire qu'il abandonne la piste Ronaldinho. Qui n'ira pas non plus, finalement, à Manchester. Le 14 juillet 2003, au domicile lyonnais de Francis Graille, Barcelone et le PSG trouvent un accord qui envoie le prodige brésilien chez les Blaugrana, un transfert conclu à 30 millions d'euros.