Pour les supporters, le club peut devenir une drogue. Parce qu'il engendre une addiction, d'abord : certains ont du mal à abandonner leur équipe, même pour une occasion importante comme une réunion de famille ou un départ en vacances un jour de PSG - Nice. Il y a le manque, le besoin de se tenir au courant, coute que coute. Mais surtout, le club a valeur de drogue parce qu'insidieusement, il en vient à modifier votre comportement. Votre perception des choses. Et à partir de là, il peut vous détacher de certaines relations, qui ne vous comprennent plus.
Der Zakarian le disait au micro de Canal + après la dernière défaite nantaise : « Le foot, ça reste un jeu. » C'est sa vison des choses, et à ce titre, on pourrait être tenté de penser que comparer le supportérisme à une drogue est une absurdité. Et pourtant, n'est-ce pas le sens exact du nouveau chant du Parc, le « Horto » ? Mon club est une herbe magique... Et Nick Hornby, dans son livre essentiel « Fever Pitch » (« Carton Jaune »), ne raconte-t-il pas comment sa passion pour Arsenal a pesé sur toute son existence, influant ses actes, sa vie ?
Alors ? Pourquoi refuser de considérer la vérité en face ? Les supporters ne sont pas des gens tout à fait comme les autres. Leur club les transforme.
Supporter du PSG 24h/24h
Par exemple, on peut évoquer les symptômes qui prouvent que le Paris SG, puisque c'est bien du club parisien qu'il s'agira ici, occupe toujours une partie de l'esprit de ses fans. Tout au long de la journée. Vous croyiez ne plus y penser, et pourtant, un détail anodin, perdu dans votre subconscient projette les Rouge et Bleu sur le devant de la scène. Vous faites vos courses, à la recherche d'un paquet de céréales que vous ne trouverez d'ailleurs jamais... et tout à coup vous sentez votre dos se raidir. Afflux d'adrénaline, stop général, crispation des muscles. Ce n'est même pas une réaction pensée, voulue. C'est un véritable réflexe.
Le gars qui vient de s'engager dans l'allée, en face de vous, avec son caddie, il porte un maillot de l'OM.
Vous étiez concentré sur votre paquet de bombes glacées au sucre, ce putain de paquet que le chef de rayon change de place tous les trois jours pour que vous ne puissiez jamais le trouver en moins d'une heure. Vous étiez vraiment focalisé dessus... et pourtant il a suffit que du coin de l'œil vous entraperceviez ce maillot adverse pour que l'ensemble de votre corps réagisse, instinctivement. Comme si le PSG avait continué à tourner en troyen, dans un coin de votre disque dur. Comme si du lever au coucher, ce club restait toujours en vous, plus ou moins en veille.
Montrez-moi qui peut dire, immédiatement après être rentré dans sa salle de classe, quel élève porte un maillot de club, sans même y avoir réfléchi. Là un Bordelais, là un Lensois, et là une trousse OL. Il n'a pas eu l'impression d'y faire spécialement attention, et pourtant il le sait. Dites-moi qui a immédiatement vu une écharpe PSG à l'autre bout du quai du métro, comme s'il avait eu un radar, et a souri sans y penser. Dites-moi qui dans la rue est capable de dire si L'Equipe parle du Paris Saint-Germain en une ou pas, alors qu'il est juste passé devant le buraliste, en parlant d'autre chose avec des potes... Ca vous est déjà arrivé n'est-ce pas ? Au plutôt ça vous arrive à chaque fois. Vous êtes supporter. Vous vivez Rouge et Bleu vingt-quatre heures sur vingt-quatre, même inconsciemment.
Qui peut comprendre ça, ces comportements-là ?
Qui comprend la magie d'un tendu d'écharpes ?
Sur le mode de la conduite un peu étrange, il y a aussi tout ce qui se passe en tribunes. Prenez un tendu d'écharpes. Il ne viendrait à l'esprit d'aucun non initié de lever son écharpe en public, un jour d'hiver, et de penser y prendre du plaisir. Seulement voilà... Il faut avoir été un jour debout en tribune, les bras en l'air, perdu dans une forêt rouge et bleue pour savoir de quoi on parle. Il faut avoir vécu ces quelques secondes magiques où plus personne ne bouge. Quand pas un visage ne se détourne. Ce moment où le Parc tout entier se tait. Cet instant exact où le temps s'arrête.
Tout le monde est prêt. Vous êtes au milieu de la tribune. Echarpe, bras, nuque, tout est tendu, vers l'avant. Les virages vont exploser. Le frisson court sur les travées. Un courant passe, là. Le capo rapproche le micro et après cette éternité jaillit le « Ô ville lumière ».
Frisson...
Il n'y a rien d'ordinaire là-dedans. Cette émotion-là, ce n'est pas une émotion normale. Ce comportement ; l'union, la tension, la projection de milliers de supporters vers un seul objectif, n'aura jamais rien d'ordinaire ! Et avoir le frisson rien qu'en y repensant, ce n'est pas une émotion normale non plus. Voilà ce que signifie supporter le Paris SG.
Qui peut partager ça ?
Supporter le club de la Capitale procure des joies magiques. D'une force si soudaine, si imprévue qu'elle pourra vous laisser comme assommé. Lors du match contre Nantes, quand Pauleta marque le troisième but, quand ce capitaine décrié par toute la presse, traîné dans la boue mais jamais lâché par le peuple parisien, quand Pauleta a marqué, ce n'est pas le Parc qui a chaviré. C'est chacun de ses membres. Tous, un par un, de Boulogne à Auteuil, en latérales, sur le canapé, peu importe, tous ce but nous a retournés.
La théorie du chaos
La fin du cauchemar, la quasi certitude d'être sauvés, enfin ! La joie après des mois de cauchemar. L'énorme, l'immense soulagement. Le retour de l'Aigle, plus le contre assassin, la talonnade dans la course, plus la chaleur du soleil, plus la mise à mort définitive de l'adversaire, c'était trop. Explosion générale. Chaos en tribune. Les supporters n'en pouvaient plus.
Et dans la minute suivante, alors que le chant, un Horto démoniaque, déchiré à pleins poumons par tout un virage donnait à peine ses premières explosions, c'était le quatrième but. Celui de Luyindula.
C'est possible d'être plus heureux que heureux ? C'est possible de ne plus rien savoir ? C'est possible de voir des mecs de quarante ans, au VA, se serrer dans les bras les uns des autres, avec une poussière dans l'oeil... ou quelques larmes ? C'est possible de sentir ses jambes s'effondrer, de devoir s'assoire parce qu'on ne peut plus ? C'est possible de chanter en même temps un Hortho, un chant pour un joueur, un autre pour le club, tout en faisant tournoyer les écharpes ? C'est possible d'être ivre de bonheur, juste parce qu'un ballon franchit une ligne ?
On a été des milliers à vivre la même folie, au même moment. A nous gorger de joie. Pour un bout de cuir, posé au fond des filets.
Mais qui peut nous comprendre, là ?
Et qui encore, pour parvenir à saisir votre état d'esprit après une défaite ? Quand vous avez envie de vous enfermer, de hurler de rage, de ne plus voir personne ou de tout casser ? Qui peut comprendre les visages décomposés dans le métro ? Les larmes du gamin qui coulent sans bruit sous sa casquette, et son père, assis sur le strapontin d'à côté qui lui passe le bras autour des épaules, le regard vide. Le silence dans la rame.
Qui peut sentir que le Parc c'est votre maison ? Que le Paris Saint-Germain est une famille et que ses supporters sont vos frères ? Qui peut comprendre qu'après des années de souffrance parfois insensée, de joie, de déception injuste, répétée, continue sur des mois et des mois... Qui peut voir qu'après ces débuts de saisons peuplés de rêves déments, une fois, cinq, dix fois remis sur le tapis, et déçus, désormais, le Paris SG a marqué votre peau au fer rouge ?
Le lieu importe peu. A domicile ou à l'extérieur, cela ne compte plus. Tribune, télé ou radio, une fois accroc, une frappe à bout portant détournée par Landreau, un arrêt réflexe impossible qui pourtant fuse en corner, et on vous verra toujours bondir sur vos pieds, hurler de rage et serrer le poing. Pas de contrôle possible. Un tacle glissé de Super Mario, alors que la situation semblait perdue, quand il arrache la balle, se relève et jaillit vers le but adverse vous serrera toujours le ventre dans une bouffée de grinta. Inutile de lutter : vous ne pourrez jamais rester stoïque quand Cristian Rodriguez se ruera en avant pour coller son front sur celui d'un défenseur qui lui rend dix centimètres, et qui vient de le balancer par terre. Il vous faudra participer, vous aussi. Vous ne vous contrôlerez plus jamais dans ces conditions-là.
Le Paris SG est une drogue dure. Une fois accroc, on ne se désintoxique plus. Et désormais, si vous aussi vous êtes contaminé, alors le monde se sépare en deux catégories. Tout ceux qui ne vous comprennent plus... et les autres. Les supporters du Paris Saint-Germain.
Bienvenue à la maison.