Professeur, comment vous êtes-vous retrouvé au Paris Saint-Germain ?
Alain Cayzac est un ami de longue date. Je connais Paul Le Guen depuis qu'il est joueur. A l'époque, on se voyait de temps en temps chez le Père Claude (NDLR : ancienne "cantine" des joueurs du PSG dans le XVe). J'ai déjà opéré des Parisiens comme Llacer ou Algerino. Mais surtout, Eric Rolland (médecin du PSG) qui était mon assistant à la Pitié-Salpêtrière, m'a dit qu'il avait envie de s'occuper du PSG. Et comme il m'a rendu tellement de services à l'hôpital, je lui ai dit : "Si je peux t'aider, c'est avec plaisir et ça me fera plaisir d'aider le PSG".
Quel est votre rôle exactement ?
J'ai un contrat tout à fait moral avec le club pour épauler Eric qui est mis à disposition du club pour une saison, tout en restant attaché au service de chirurgie orthopédie-traumatologie de la Pitié-Salpêtrière. Il continue d'opérer des sportifs dont des footballeurs professionnels. Je vais au camp des Loges deux jours par semaine, je le remplace souvent le jeudi. J'assiste à tous les matches à domicile, parfois à quelques déplacements. Pour moi, c'est tout sauf une corvée !
Car vous êtes un fervent supporter de Paris...
Oui ! Je les supporte depuis longtemps.... Malheureusement, comme je finissais tard à l'hôpital, j'arrivais souvent au Parc pour la seconde période. Alors je me suis abonné deux saisons pour m'obliger à arriver à l'heure. Aujourd'hui, faire partie de l'équipe médicale du PSG est un plaisir, un certain luxe même. C'est vraiment une histoire de copains car si ça n'avait pas été avec Eric (Rolland), Paul (Le Guen) ou Alain (Cayzac), je ne voyais pas l'intérêt de m'investir.
Quels sont vos "chouchous" dans l'histoire du club ?
J'aimais bien des joueurs comme Fournier, Llacer, Guérin... Ils n'étaient pas les plus médiatiques mais c'était des guerriers, des gars qui se défonçaient sur un terrain. Eux au moins, ils avaient la "niaque".
Cette saison, avez-vous été bluffé par les capacités physiques de certains joueurs ?
Oui, par Sammy Traoré même s'il est prêté : par rapport à son âge, à son genou abîmé, les difficultés qu'il a eues à suivre la préparation physique, il tient le coup à Auxerre, il profite de sa taille, il apporte au jeu de son équipe. C'est un gars d'un autre monde... Sinon, Jérémy Clément et Clément Chantôme sont de vrais régulateurs, des métronomes, des gars sur qui on peut compter, qui s'accrochent, alors que quand vous les voyez ils n'ont pas un physique impressionnant. Les deux ne paient pas de mine mais ils sont infatigables !
"Paul Le Guen ne nous met jamais la pression"
Quel type de relations entretenez-vous avec le staff ?
Ce qui est agréable, c'est que l'on n'a jamais la moindre pression. Paul Le Guen n'est jamais venu nous dire : "Démerde-toi pour que tel joueur joue ce week-end ". On n'a jamais eu de conflit, la confiance et le respect sont réciproques. On fait partie d'une équipe, il faut qu'il y ait un contrat moral. C'est pourquoi je ne crois pas que j'aurais accepté dans un autre club, avec d'autres personnes.
Vous êtes né à Montluçon il y a 62 ans. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur vous ?
J'ai grandi à Montluçon jusqu'à l'âge de 15 ans. Ensuite, je suis monté à Paris étudier à Louis Le Grand, pour faire Polytechnique. Mais je me suis rendu compte que c'était peut-être un peu trop dur pour moi (sourires). Alors j'ai fait médecine car mon père était médecin. Il aurait été facteur, je serais surement facteur... Mais la traumatologie du sport m'a permis de concilier les deux passions que sont le sport et la chirurgie.
Quel est le premier sportif "connu" que vous ayez opéré ?
Essentiellement des perchistes au temps de la grande époque des Vigneron, Houvion, Quinon... Je me suis beaucoup occupé d'athlétisme, j'étais médecin de l'équipe de France d'athlé. C'est ainsi que j'ai commencé à me faire connaître.
Avez-vous plus de pression lorsque vous opérez une star comme Ronaldo ou Schumacher ?
Honnêtement, quand on est dans l'intervention, c'est exactement pareil que si j'opère votre concierge ou le Président de la République. C'est simple, si vous essayez de faire mieux, vous faites mal. La seule différence réside dans la pression médiatique : si vous réussissez l'intervention et que le footballeur reprend vite, vous êtes un génie. Si c'est l'inverse, vous êtes un nul. Il y a une pression médiatique indiscutable...
Comme lorsque Ronaldo est venu se faire opérer le mois dernier d'une rupture totale du tendon rotulien ?
Il était dans la même chambre que lorsque je l'avais opéré en 1999. Deux personnes restaient à l'entrée pour assurer sa tranquillité. Car il y avait du monde aux nouvelles ! Des gamins restaient de 7h du matin à 20h pour avoir des autographes de lui. Les médias étaient à l'hôpital en permanence, il y a même des journalistes brésiliens qui ont dormi là pendant huit jours ! Le dimanche matin, quand je suis arrivé à 7h, ils étaient là. Dans le hall... Mais c'était des gens très corrects. Il faut relativiser, cette médiatisation n'est pas horrible à gérer, en plus Ronaldo se prête bien au jeu. Par contre, d'une manière générale, je me suis toujours imposé de ne rien dire que le patient ne voulait pas que l'on dise, et de respecter les règles déontologiques.
"Ronaldo est tout sauf un idiot"
Comment êtes-vous devenu le chirurgien attitré de Ronaldo ?
En 1998, j'étais allé le voir plusieurs fois en Italie parce qu'il avait des problèmes de tendons (rotuliens) et moi, j'étais spécialisé dans ce domaine. Je m'en étais un peu occupé, il était bien revenu avant d'être victime d'une rupture partielle puis totale. On l'a opéré en 1999 mais ensuite, les kinés et tous les gens qui l'entouraient à Milan ont fait un travail remarquable. Aujourd'hui, il a 31 ans, il est dans les meilleures conditions pour reprendre, après tout dépend de sa motivation.
Il vous avait dédicacé deux buts lors du Mondial 2002. C'est presque devenu un ami ?
J'ai beaucoup d'affection et d'admiration pour lui. En plus d'être un joueur d'exception, c'est un garçon très intelligent. Quand vous discutez avec lui et quand vous voyez comment il a géré sa carrière, vous vous rendez compte qu'il est très intelligent car il sait mettre une pierre blanche avant les grands événements. En 2002 au Japon, il est meilleur buteur de la Coupe du monde (8 buts) alors qu'il sortait d'une saison presque blanche. Ces dernières années, il s'était un peu endormi, il signe à Milan et il marque trois buts d'entrée... Il est tout sauf idiot.
Aujourd'hui, que vous apporte une telle renommée ?
Sans faire de fausse modestie, ce n'est pas ce que je trouve le plus intéressant. Moi ce qui plaît, ce sont les rencontres que je peux faire. Certains sportifs m'ont fait découvrir leur milieu. Par exemple, l'ancien champion du monde de motocross Jacky Vimont, Laurent Fignon sont devenus de très bons copains. Dans le milieu automobile des gens comme Michael Schumacher ou Jean Todt sont très intéressants. Mais il faut rester modeste, vous opérez l'attaquant de Barcelone, ça réussit vous êtes un dieu pour l'équipe. Vous opérez la saison suivante le défenseur du même Barça, vous vous ratez et c'est fini, vous êtes zéro... Il faut rester humble.
Avez-vous fait du sport ?
J'ai d'abord joué gardien de but en foot et quand je suis arrivé à Paris et j'ai été gardien de hand, ça m'a découragé à tout jamais de prendre 30 ou 40 pions par partie ! J'ai aussi fait beaucoup de marathon, sans pour autant me prendre au sérieux. Mais pour faire de la chirurgie du sport, il faut aimer le sport. Mes préférés sont l'athlé, le sport automobile, le foot, le rugby et le golf.
Parallèlement au sport, un projet vous tient à cœur : l'Institut du Cerveau et de la Moëlle Epinière.
J'ai arrêté d'opérer il y a peu et je m'occupe de ce centre de recherche qui en train de se monter à Paris. C'est un beau projet, mais qui coute cher, autour de 65 millions d'euros. Il mêle les financements publics et privés. Des sportifs comme Francis Joyon, Michael Shumacher... nous aident beaucoup... La encore, c'est une affaire de copains... (Sourires)
Propos recueillis par Emilie Pilet
Interview parue dans "Le Foot Paris" (n°43, avril 2008), actuellement en kiosques.