Bernard, êtes-vous surpris d'être considéré comme l'un des plus grands Parisiens de l'histoire ?
Je serais malhonnête si je disais que je tombe des nues (sourires) mais je suis avant tout très flatté. Je prends cette "distinction" comme la récompense de mon investissement dans le club. Si le public l'a compris, c'est le principal. Et puis je fais partie de la génération qui a gagné beaucoup de titres, ça aide....
Que vous inspire le classement des meilleurs Parisiens de tous les temps, établi par les lecteurs du "Foot Paris" et de "Planète PSG" ?
C'est toujours délicat de retirer quelques joueurs qui ont marqué le club. Dans les dix premiers (http://www.planetepsg.com/news-9108-communaute_les_10_meilleurs_parisiens_de_lhistoire.html), on retrouve de grands joueurs et s'ils sont là, c'est qu'ils le méritent, point. Quelles qu'en soient les raisons, ils ont marqué les esprits. Mais je regrette de ne pas y voir Mustapha Dahleb. Il a tout de même joué pendant dix ans à Paris (1974-1984), je ne l'ai pas oublié.
Pour qui auriez-vous voté en numéro 1 ?
Même des joueurs qui n'ont rien gagné peuvent très bien représenter le club. Safet Susic est un grand Monsieur, qui n'a pas eu la chance de gagner beaucoup de trophées avec Paris. Mais c'étaient les premiers et tout le monde s'en souvient.
Quand vous étiez enfant, le PSG vous faisait-il rêver ?
Oui, c'était un club que l'on suivait beaucoup en Guyane. Dans l'île, c'était l'un des plus populaires car il y avait beaucoup de blacks, d'Antillais, on se sentait représentés. C'était l'époque des Adams (1977-1979), des Laposte (1972-1979), des Boubacar (1979-1983), des Janvion (1983-1985), des Toko (1980-1985) puis Courriol (1983-1989)... A la maison, on avait un poster de l'équipe de la fin des années 1970 avec Baratelli dans les cages. Le PSG était bien présent. Mais tout jeune, c'est d'abord Marseille que j'ai supporté.
Y a-t-il un joueur dont vous vous êtes inspiré ?
Pelé ! Ce n'est pas compliqué, je voulais être comme lui, je voulais marquer des buts donc c'est ce que j'ai commencé par faire... Jusqu'au jour où je me suis rendu compte que je ne serai jamais réellement Pelé. Mais je pouvais être moi à travers mon changement de poste. Dans les cages, je n'ai jamais vraiment eu de modèle.
L'accueil du Parc, notamment du kop Boulogne à votre arrivée en 1992, n'a pas été chaleureux...
C'était pendant le Tournoi de Paris. Lors de l'échauffement côté Boulogne, je me fais siffler. C'était un peu logique : un Noir qui venait remplacer l'idole du kop, ça passait mal. Ça ne m'a pas perturbé plus qu'autre chose, je me suis concentré sur mon boulot et finalement cela s'est bien passé. Car même si j'étais noir et qu'ils ne pouvaient pas me sentir, je portais le maillot de leur club, on défendait les mêmes couleurs. Au fur et à mesure, le lien s'est créé. Après, il y avait du respect.
N'avez-vous jamais eu de geste déplacé, en réponse aux insultes ?
Non... Je répondais à ma manière, c'est-à-dire sur le terrain. Il n'y a meilleure réponse à tout cela que de donner ton maximum quand tu joues, de ne pas encaisser de buts. C'est là que tu acquiers le respect. Bon, c'est sur que des fois tu as envie de les insulter aussi mais en définitive tu te dis que ça ne rime à rien et qu'il ne faut pas agir comme eux.
"La Coupe des Coupes est mon plus beau trophée"
Que vous disait votre entraîneur Joël Bats ?
Rien de particulier. On n'en parlait pas, on était au-delà de tout ça. Il a juste dit au début que ça allait s'arranger. Je lui ai dit qu'il n'y avait pas de souci, que je n'étais pas inquiet. Après, on n'en a plus jamais reparlé.
A quel moment avez vous senti que le public vous adoptait ?
Il est arrivé que le kop de Boulogne me siffle mais je ne pense pas qu'ils me détestaient. Ils avaient tout simplement d'autres opinions que les miennes, ils les manifestaient à ce moment-là. Dans tous les clubs où je suis passé, j'ai toujours été apprécié. Surement parce qu'on voyait que je donnais tout ce que j'avais pour les couleurs du club, et surtout à Paris. Je me suis toujours senti respecté et aimé par le public. Peut-être aussi parce qu'on a ramené beaucoup de victoires, dont certaines où j'étais capitaine, notamment en finale de coupe d'Europe (1996), mon plus beau trophée car il vient couronner cinq années de campagne européenne avec de nombreux matches, des rebondissements et de très grandes choses. C'est la plus grande victoire dans l'histoire du club. Quand on a été champion (1994), ce n'était pas la première fois alors que là, si.
Votre arrivée au PSG en 1992 coïncide avec le début de votre carrière internationale.
Avec le maillot du PSG, on ne pouvait plus ne pas me sélectionner, on ne pouvait plus faire autrement. Depuis que j'étais à Lens (1991), oui, j'aurais pu être appelé. Après, je pense qu'on n'a pas trop voulu perturber l'équilibre l'équipe en place en vue des championnats d'Europe 1992. Ce n'est qu'après qu'on a fait appel à moi, même si je pense que j'aurais eu ma place pour cet Euro. Mon heure n'était pas encore arrivée, tout simplement.
Le Parc était votre jardin...
(sourires) Avec le PSG, oui. Beaucoup moins avec l'équipe de France (NDLR : en novembre 1993, il était de la défaite contre Israël). C'est le genre de mauvais souvenirs qui ont tout gâché. Mais avec Paris, le Parc, c'était mon stade, j'étais comme à la maison, chez moi, je connaissais tous les recoins. Je m'y sentais tellement bien.
Les supporters qui font la grève, comprenez-vous ?
Tout le monde fait grève dans ce pays, non ? (sourires) Pourquoi pas les supporters ? A la limite, je préfère qu'ils se manifestent ainsi plutôt qu'ils aillent casser une voiture ou qu'ils s'en prennent physiquement aux joueurs. Chacun à le droit de se manifester et quand c'est pacifique, ça ne me dérange pas. Tout le monde a le droit de s'exprimer. Là où je ne suis pas d'accord, c'est quand ça dépasse les limites avec des insultes, des menaces... Là, je dis non. A mon époque aussi il leur arrivait de manifester leur colère. Il y a eu des périodes où c'était chaud, quand on n'avait pas de résultats. Les supporters exprimaient leur mécontentement.
Même à votre époque ?
Oui, il y a eu des moments où c'était très, très chaud, où on faisait des réunions avec eux. Une fois en coupe d'Europe, on n'avait pas salué nos supporters et ils s'étaient fâchés. Une autre fois on n'avait pas de résultats et il y avait des banderoles, ils ne chantaient pas pendant un moment avant de reprendre, parfois ils venaient au camp des Loges pour nous manifester leur colère... Mais cela restait dans certaines limites car on était assez proches d'eux et il y avait toujours un dialogue. Même avec les plus vindicatifs, il y avait moyen de parler. Même si on n'était pas toujours d'accord, on se parlait après les matches. Malheureusement, je crois que ce lien a été coupé entre les joueurs et le public. Les joueurs ont beaucoup changé, ils restent un ou deux ans puis s'en vont, donc difficile de créer du lien. Les mouvements incessants dans le club de ces dernières années y sont pour beaucoup. Pour moi, c'est ce qui explique certains débordements aujourd'hui.
Que pensez-vous de l'attitude de Jérôme Rothen avant PSG-Caen ?
J'ai vu. Il a été maladroit. Mais cela ne mérite pas qu'on aille le menacer chez lui ! Les joueurs ne viennent pas menacer ou insulter les supporters sur leur lieu de travail. Il faut arrêter un petit peu aussi. Ça va trop loin, c'est n'importe quoi. Les supporters ont manifesté leur désappointement, Jérôme a manifesté le sien. Mais on en revient à ce que je disais tout à l'heure : tout aurait du être désamorcé avec le dialogue. Il ne faut pas non plus que le public pense aussi que sous prétexte que tu es sur le terrain, tu dois gagner des matches.
"Il faut savoir accepter que les joueurs soient moins bons que dans les années 90"
Le public, l'ambiance faisaient votre force dans les années 1990. Pourquoi ne serait-ce plus le cas aujourd'hui ?
Les joueurs ont changé, ils sont peut-être moins bons. Il faut savoir l'accepter. On n'est pas obligés de tout le temps gagner. Le sport c'est ça : il y a un gagnant et un perdant. C'est l'esprit même du sport. Tout donner au moment voulu pour ne pas avoir de regrets derrière. Les supporters ont aussi leur rôle à jouer. Ce n'est pas simple mais il faut continuer car sinon, qu'est-ce que ça va arranger ? La situation est assez grave pour que tout le monde y mette du sien.
On reproche aux joueurs de ne pas assez "mouiller le maillot". Partagez-vous cette impression ?
Mais les gens font ce qu'ils peuvent ! Et les supporters devraient le comprendre. Il y a des joueurs qui sont limités et qui ne peuvent pas aller plus loin. Aujourd'hui ils font ce qu'ils peuvent avec leurs moyens. Ce n'est pas de la mauvaise volonté. Dans le contexte actuel, ils ont du mal aujourd'hui à donner plus au Parc et ce n'est pas en les engueulant ou en les insultant qu'on va les aider. C'est en allant les voir, en les encourageant que les choses vont revenir. Je suis optimiste car il y a de la qualité dans le groupe et à un moment il y aura un déclic.
Etes-vous inquiet pour l'avenir du club ?
Je ne les vois pas descendre. Metz peut se faire du souci car ils n'arrivent pas à gagner un match (NDLR : en fait Metz en a remporté un). Pas le PSG. Il suffit d'enchaîner deux ou trois bons résultats et tu te replaces bien. Il faut rester optimiste.
A quand votre jubilé au Parc des Princes ?
(sourires) J'avoue que j'y ai pensé mais de moins en moins ces dernières années. Il faut compter un an et je n'ai pas forcément le temps. Et puis le club ne joue pas le jeu non plus. Quand on regarde en Allemagne ou en Angleterre, les clubs organisent tout pour le joueur qui a marqué son histoire. C'est comme un cadeau qu'on lui fait. Dommage que ce ne soit pas le cas en France. Je n'ai pas abandonné l'idée, il faut juste que je sois dispo.
Les supporters aimeraient beaucoup vous voir revenir. Vous aussi ?
La réponse est simple : je n'ai jamais reçu une seule proposition venant du PSG. Pour que je sois pour ou contre, encore faudrait-il qu'on m'ait proposé de revenir. Tout le monde connaît mon attachement au club donc si j'ai une proposition, je l'étudierai.
Auriez-vous aimé qu'après votre carrière on vous le propose ?
Oui ! A une époque, j'aurais bien aimé donner un coup de main. Je suis resté sept ans à Paris. J'habitais une partie de l'année sur Paris, je voyais ce qu'il se passait, je sentais les choses. Tout le monde m'a demandé quand j'allais revenir au PSG. C'aurait pu être quelque chose qui se fasse naturellement, malheureusement, cela ne s'est pas fait. Mais ni Paris, ni les autres anciens clubs, ne m'ont proposé quelque chose. Peut-être que je fais peur, je dis ce que je pense et ça ne plaît pas toujours.
Etes-vous toujours en contact avec Paul Le Guen ?
Oui, on se parle régulièrement d'ailleurs.
Propos recueillis par Emilie Pilet
Interview parue dans "Le Foot Paris" (n°41), actuellement en kiosque.